EchappĂ©e subsaharienne au Festival algĂ©rien dâimzad
Par VĂ©ronique Narame
Â
Une fois encore, je reviens dâAlgĂ©rie avec une Ă©nergie incomparable. Il y a dans ce pays ce supplĂ©ment dâhumanitĂ© qui permet de sâĂ©lever et de se recentrer sur lâessentiel : la vie. Tant dâĂ©changes, avec tous et chacun, redonne alors courage. Â
Â
Cette fois, câest Ă Tamanrasset que je me suis envolĂ©e, aprĂšs de prĂ©cĂ©dentes Ă©chappĂ©es Ă Tipasa, Oran, Tlemcen, SĂ©tif, Djemila, Taghit, Beni AbbĂšs, AĂŻn Sefra⊠et Alger, ville vers laquelle on revient toujours, pour franchir en quelques battements dâailes la MĂ©diterranĂ©e, Ă bord de la flotte dâAir AlgĂ©rie. Â
Â
Lâincontournable compagnie nationale fend de part en part le ciel algĂ©rien et assure la desserte de cette lointaine destination, Tamanrasset. A 2 000 km de la capitale, Air AlgĂ©rie est lâunique pont aĂ©rien entre le nord et le Grand Sud. Autant dire que sa prĂ©sence est fondamentale.
Â
Jusquâalors, Tamanrasset mâĂ©tait totalement inconnue. DĂ©crite, Ă tort, comme une citĂ© dangereuse, en raison de menaces au Sahel, je nâavais jamais Ă©tĂ© amenĂ©e Ă la parcourir. Â
Â
Intuitivement, je savais ces prĂ©cautions plus oratoires que rĂ©elles, aussi nâavais-je pas hĂ©sitĂ© Ă rĂ©pondre Ă lâappel du reportage pour couvrir la TroisiĂšme rencontre internationale dâImzad, en dĂ©pit des conseils Ă Ă©viter tout sĂ©jour Ă Tamanrasset et Djanet. Mes intuitions allaient ĂȘtre validĂ©es par un commis de lâEtat français, alors en sĂ©jour à ⊠Tamanrasset (!).Â
Â
 Il indiqua que le Quai dâOrsay dissuadait ses ressortissants de tout sĂ©jour dans le Grand Sud, appliquant en cela les dispositions prises Ă lâĂ©gard des diplomates français par les autoritĂ©s algĂ©riennesâŠÂ Â
Â
Ici, Ă Tamanrasset, on assure en revanche de la tranquillitĂ© des lieux. « La rĂ©gion vit en paix avec elle-mĂȘme, et le Festival dâImzad, auquel nous assistons, enlĂšve un certain nombre de tabous sur lâextrĂȘme sud et ses frontiĂšres avec les pays amis que sont le Mali et le Niger », atteste SaĂŻd Meziane, wali de Tamanrasset. Â
Â
A lâĂ©vidence, les diffĂ©rentes ethnies composent en bonne intelligence, et ont donnĂ© Ă voir, en lâespace de quelques jours, la richesse de leur patrimoine culturel et artistique. Â
DĂ©couverte du HoggarâŠÂ
Â
LâarrivĂ©e Ă lâaĂ©roport, dans la capitale du Hoggar, mâa paru en tous points semblable Ă nâimporte quelle autre entrĂ©e dans une ville dâAfrique du Nord, ou encore dâAfrique subsaharienne. Â
Â
Foule bigarrĂ©e, passants pressĂ©s, affairistes affairĂ©s. LâĂ©clat du lever du jour a vite augurĂ© de ce qui allait se produire Ă Tamanrasset, ces sept jours et ces sept nuits, en ce mois de novembre : un festival haut en couleurs. Pick-up et chameaux ont convergĂ© vers la place oĂč a eu lieu lâinauguration du Festival dâImzad.Â
Â
 A la tribune, Farida Sellal, prĂ©sidente de lâassociation Sauver lâImzad, a lancĂ© les festivitĂ©s aux cĂŽtĂ©s de celles et ceux dont la culture a Ă©tĂ© mise Ă lâhonneur : les Imouhars, encore appelĂ©s TouarĂšgs. ChĂšches indigo et basins du Mali ont rehaussĂ© de leur brillance une assemblĂ©e venue dâAlger, de BejaĂŻa, de Ouargla, de Djanet, de Tombouctou, de Niamey, ou encore de Paris, Berlin, Budapest, Kiev, Antananarivo, PĂ©kin ou Bruxelles. Et la magie a opĂ©rĂ©âŠÂ
Sâil fallait dĂ©crire en seulement trois occurrences lâimmensitĂ© visitĂ©e, alors je dirais de Tamanrasset que sa lumiĂšre est foudroyante, que la dignitĂ© de son peuple est imposante, et quâĂ prĂ©sent que lâeau est lĂ , la capitale de lâAhaggar bruisse dâune nouvelle joie. Figuiers, orangers, mandariniers, palmiers dattiers et roses sâĂ©panouissent sur cette terre rocailleuse dont les sommets magistraux tutoient le ciel. Â
Â
De mon sĂ©jour au pays des Hommes bleus, je conserve aussi en mĂ©moire ces Ă©difiantes rĂ©alisations qui rĂ©volutionnent le cours de lâexistence des populations locales. A commencer par le mĂ©ga-transfert des eaux fossiles de la nappe albienne, qui a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© de mains de maĂźtres par une communautĂ© dâexperts, sous la direction de lâAlgĂ©rienne des eaux.Â
Â
 Chinois, Turcs, Finlandais, Français, Emiriens, Allemands et AlgĂ©riens ont conjuguĂ© leur savoir-faire pour que soit pompĂ©e, puis transportĂ©e, sur 750 km de canalisation, cette source de vie. Le fleuron des entreprises algĂ©riennes et internationales (Cosider, WĂ€rtzilĂ€, CPECC, Loops, StahlâŠ) a ĆuvrĂ© de concert pour livrer dans les dĂ©lais (36 mois) ce chef-dâĆuvre technologique â le plus grand du monde â qui pourvoit Ă lâalimentation en eau des quelque 100 000 habitants de la citĂ© saharienne.Â
Â
Â
De la mĂȘme façon, le Grand Sud est dĂ©sormais reliĂ© Ă la capitale algĂ©rienne, via la transsaharienne Alger- Tamanrasset- Agadez (Niger)-Lagos (Nigeria), Ă prĂ©sent que le tronçon de plus de 400 km de route qui mĂšne Ă In Guezzam a Ă©tĂ© achevĂ©. « Tam » peut ainsi se hisser au rang de premier carrefour urbain du Hoggar, a fortiori du fait des performances rĂ©alisĂ©es au plan des technologies numĂ©riques par AlgĂ©rie TĂ©lĂ©com.Â
Â
 Lâinterconnexion avec le monde, par internet et la tĂ©lĂ©phonie mobile, est assurĂ©e par ces autoroutes de la communication qui transfĂšrent, en temps rĂ©el, les informations. Ces performances vont encore ĂȘtre renforcĂ©es, Ă la faveur de la liaison par fibre optique qui emprunte lâitinĂ©raire du gazoduc transsaharien Alger-Abuja (Nigeria), et de celle qui longe le pipeline des eaux transfĂ©rĂ©es entre In Salah et Tamanrasset.Â
⊠Et de la culture touaregÂ
Â
Sâagissant du savoir et de sa transmission, lĂ -aussi les avancĂ©es sont significatives Ă Tamanrasset. La coopĂ©ration Sud-Sud fonctionne Ă©galement. LâAlgĂ©rie accorde des bourses dans plusieurs disciplines (mĂ©decine, protection civile, polytechnique) aux Ă©tudiants maliens et nigĂ©riens. Â
Â
Dans le cadre du Plan quinquennal 2009-2014, pas moins dâun milliard de dollars est dĂ©diĂ©, Ă lâĂ©chelle nationale, Ă des projets de recherche, dans un pays qui consacre 1% de son PIB Ă la recherche scientifique. Â
Â
La capitale de lâAhaggar nâest pas oubliĂ©e. Son universitĂ© dispense ses enseignements dans de nombreuses disciplines â sciences dures et sciences molles â et elle dispose Ă prĂ©sent de Dar el imzad, la Maison internationale des artistes, un institut de formation destinĂ© aux artistes locaux ainsi quâaux passionnĂ©s des arts traditionnels des dĂ©serts. Il a Ă©tĂ© impulsĂ© par Farida Sellal, ingĂ©nieure des tĂ©lĂ©coms, directrice de Sauver lâimzad, une association portĂ©e par la sociĂ©tĂ© civile. Son objectif vise Ă la sauvegarder de la culture targuie, symbolisĂ©e par une vielle monocorde dont jouent les femmes. La langue tamahak, la poĂ©sie et lâartisanat font aussi partie du patrimoine que sâemploie Ă valoriser lâAlgĂ©rie. Â
Â
« Lâinitiative est louable dans le sens oĂč Farida Sellal a matĂ©rialisĂ©, Ă travers lâĂ©cole, un Ă©lĂ©ment de notre patrimoine », atteste Souad Bendjaballah, ministre dĂ©lĂ©guĂ©e chargĂ©e de la Recherche scientifique. Sur 10 000 m2, Dar el imzad, qui a Ă©tĂ© construit par Cosider, comprend des salles de cours et de musique, un laboratoire audiovisuel et des ateliers, ainsi quâune salle polyvalente et un musĂ©e.Â
Relance du tourisme saharienÂ
Â
Lâintervention de lâEtat dans tous ces domaines â infrastructures dâeau et dâassainissement, routes, voies aĂ©riennes, technologies de lâinformation et de la communication, Ă©ducation â permet de dĂ©senclaver et de redynamiser lâĂ©conomie du Grand Sud. Le tourisme, Ă©lĂ©ment Ă©minemment structurant de lâĂ©conomie de la rĂ©gion, est Ă©galement promu. Â
Â
Sur ce plan, on prĂ©voit lâimplantation dâenseignes de classe internationale qui viendront renforcer lâoffre existante dont le joyau actuel est lâhĂŽtel Tahat, construit en 1978 par Ferdinand Pouillon. Mohamed Amine Hadj SaĂŻd, directeur gĂ©nĂ©ral de lâOffice national du tourisme (ONT), annonce lâamĂ©nagement de nouveaux sites et lâouverture de circuits. Â
Â
Â
« Les opĂ©rateurs de Tamanrasset prĂ©parent de nouveaux produits dans le respect de lâenvironnement. Des bivouacs dans des hĂŽtels Ă mille Ă©toiles sont organisĂ©s dans lâAssekrem et le Tassili, avec vue sur le plus beau coucher du soleil qui soit ».Â
Â
La Rencontre internationale dâimzad concourt Ă la relance de lâactivitĂ© touristique. Les nombreux artistes qui se sont produits durant le festival ont crĂ©Ă© lâenchantement. ZaĂŻd, poĂšte de lâAdrar des Iforas, au Mali, a dĂ©clamĂ© ses odes en faveur de la paix et du dĂ©veloppement.Â
Â
 Lela Bent Salem Badi, sĂ©millante septuagĂ©naire qui a fait le tour du monde, sâest illustrĂ©e par le chant autant que par le tindĂ© et la guitare. Les maalem forgerons ont fait dĂ©monstration de leur virtuositĂ©. Le groupe nigĂ©rien Atri NâAssouf, Nabil Baly Othmani de Djanet, Fadimata Walett Oumar de lâensemble fĂ©minin Tartit⊠tous Ă©taient au rendez-vous de lâImzad, du 11 au 18 novembre, Ă Tamanrasset. Â
Â
Cette troisiĂšme Ă©dition, qui a associĂ© les crĂ©ateurs et intervenants dâAlgĂ©rie et des pays frĂšres du Sahel, a attirĂ© un public venu dâEurope du Nord et de lâEst, ainsi que de Chine. Â
Â
Nul doute que les touristes vont revenir en nombre fouler la terre saharienne avec leurs guides imouhars, sous les bons auspices des AmĂ©nokals, les chefs spirituels des tribus touarĂšgs. La capitale du dĂ©sert se prĂ©pare Ă accueillir les voyageurs dâAlgĂ©rie et de lâĂ©tranger dans ces espaces dâexception oĂč alternent, Ă lâinfini, oasis, cascades, montagnes et dunes. Â
Â
« Les touristes nous manquent comme nous leur manquons », confie dâailleurs Abdelkrim Touhami, un notable de Tamanrasset. Â
En attendant leur retour, les projets urbanistiques et Ă©conomiques se structurent. On annonce la rĂ©alisation de logements, dâune station dâĂ©puration, le rĂ©amĂ©nagement de la foire rĂ©gionale de lâAssihar, la crĂ©ation dâun thĂ©Ăątre en 2012 ou encore la vĂ©gĂ©talisation de lâoued et de ses berges.Â
Â
 Tamanrasset entame graduellement â et sĂ»rement â sa mĂ©tamorphose, et promet de nouveaux Ă©vĂšnements riches en Ă©motions ïŹÂ
Â
V. R.Â
Â
Â