Culture : CONTRIBUTION
LITTĂRATURE
La BD, une véritable école de la lecture
Par Mohamed-Mostefa Bencherif, proviseur Ă AĂŻn Sefra
Quand les librairies avaient un sens, quand elles avaient pour mission de dĂ©livrer Ă travers les signes apposĂ©s sur des feuilles mises lâune sur lâautre dâune maniĂšre judicieuse et quâon appelle livres, caractĂ©risĂ©s par cette esthĂ©tique particuliĂšre de la page de garde qui dĂ©clenche au niveau du cerveau un besoin prĂ©dominant dans la civilisation moderne : la lecture ; que nous arrive- t-il maintenant que le cerveau est pratiquement amputĂ© de ce besoin ?
Nous sommes handicapĂ©s Ă vie sans librairies qui nous offrent quotidiennement cet Ă©talage multicolore de revues, de livres, de journaux et⊠de bandes dessinĂ©es pour les petits et les grands. Qui dans les annĂ©es soixante, soixante-dix, nâa pas Ă©changĂ© un Kiwi, avec un Akim, un Zembla ou un Tintin pour continuer une lecture passionnante dâaventures sans cesse attrayantes ? Nâa pas vĂ©cu un instant de bonheur unique Ă chaque nouvel arrivage du titre attendu ; de la suite des aventures dâun Blek le Roc, de Mickey le Ranger, de Tex Tone, de RoĂŻco, de PĂ©pito⊠Nâavions-nous pas chassĂ© le grizzly avec des trappeurs, piĂ©gĂ© les castors au bord de barrages pleins dâeau, poursuivi des rennes ou encore devenir lâami de Zig la guenon, du gorille, les fidĂšles compagnons dâAkim, de Tarzan, voler de baobab en baobab grĂące Ă lâutilisation judicieuse des lianes ; parcouru la steppe ou la jungle africaine ; nâavions-nous pas voyagĂ© jusque chez les Mayas, les AztĂšques ; nâavions-nous pas connu les conquistadors et leurs crimes⊠La bande dessinĂ©e nous a fait rĂȘver, et nous a doucement prĂ©parĂ©s au passage de lâimage au signe, au concept sans support iconique. La lecture dâun livre plein de mots est une tĂąche au dĂ©part ardue sans cette adaptation de lâimaginaire au contact de la BD qui permettra le passage au concept abstrait sans support iconique. Lâenfant se sentira aprĂšs affranchi, il aura acquis le statut de grand en terminant pour la premiĂšre fois son premier livre, ce sera vraiment une «ßle au trĂ©sor» oĂč il aura suivi les aventures des «signes» et des pirates passionnĂ©ment ! Ainsi, interpeller la subjectivitĂ© de lâenfant Ă travers le support iconique est une maniĂšre de procĂ©der Ă lâĂ©veil chez lui dâun intĂ©rĂȘt particulier pour la langue Ă©trangĂšre. Lâimagination est un facteur important qui permet de mettre en relation le signe au signifiĂ©, le concept et le sens ; plus tard, le support iconique cĂ©dera la place Ă une vision plus abstraite, donc plus complexe, mais plus significative pour lâenfant parce quâil a su draper dâun sens un concept au dĂ©part tellement difficile Ă cerner, et ce, grĂące justement Ă ce support iconique. La BD a, en outre, le privilĂšge de nous ouvrir sur une culture autre, donc de prendre par la main lâenfant et de le guider Ă travers le labyrinthe des lettres, des mots et des phrases mais dans une aventure du sens qui sâappelle fiction, c'est-Ă -dire une construction, une structure, donc une totalitĂ© qui redĂ©finit en son sein le mot, la phrase Ă travers une intrigue, Ă travers des mĂ©diateurs fictifs qui reprennent le discours dĂ©sirĂ© Ă notre profit. Certes, tout cela semble se heurter Ă plusieurs Ă©cueils notamment lâinexistence de BD en dehors de la sphĂšre scolaire qui prĂ©sente bien souvent des supports iconiques qui ne sont pas trĂšs motivants en rĂ©alitĂ© (absence de couleurs, dessins mĂ©diocresâŠ). Chez le libraire, lâĂ©lĂšve, dans une sociĂ©tĂ© oĂč la disponibilitĂ© et la part quâa la BD dans lâacquisition du savoir est quasi religieuse, a une panoplie de choix, ce qui ne fera quâaugmenter sa motivation et son intĂ©rĂȘt pour la lecture dâaventures, toujours attrayante par la qualitĂ© de ses dessins et la qualitĂ© aussi du message contenu dans les bulles mĂȘme si au dĂ©part lâĂ©lĂšve ne comprend pas tout. Il nây a quâĂ voir lâengouement quâont les enfants pour les dessins animĂ©s et lâacquisition miraculeuse des rudiments dâune langue Ă©trangĂšre sans aucune acquisition antĂ©rieure. Dans cette perspective, cette dĂ©marche implique lâĂ©lĂšve au-delĂ de la sphĂšre scolaire, elle en propose une extension jusque dans son environnement immĂ©diat, mais il ne reste pas moins que lâapprĂ©hension des langues Ă©trangĂšres comme facteurs de distorsion culturelle (en particulier le français) ne facilite pas la tĂąche et le parler de la langue Ă©trangĂšre reste tributaire de situations opportunes de plus en plus restreintes. La BD, appelĂ©e neuviĂšme art, aborde diffĂ©rents champs : aventures, histoire, guerres, science-fiction, etc., dâoĂč lâintĂ©rĂȘt crĂ©atif quâoffre ce domaine dâinvestigation, des possibilitĂ©s Ă©normes pour les artistes, les dessinateurs, les scĂ©naristes⊠Les AmĂ©ricains se sont chargĂ©s de la diffusion de la BD au XXe siĂšcle ; cette derniĂšre est apparue dâabord en Suisse vers les annĂ©es 1830 avec Rodolphe Töpffer. Vers les annĂ©es 1950, le Japon se met Ă en produire massivement sous la fĂ©rule dâOsamu Tezuka, ce qui lui donne un caractĂšre dâuniversalitĂ© certain. Elle touche surtout les enfants et les adolescents mais elle intĂ©resse aussi beaucoup dâadultes. Mais la BD ne cherche plus Ă se confiner dans le monde de lâenfance et du genre, et elle explore tous les champs abordĂ©s par les autres arts narratifs. Cet art est totalement ignorĂ© dans le pays par les gĂ©nĂ©rations actuelles, on peut crĂ©er des Ă©coles pour apprendre Ă en fabriquer «nationale». Ce nâest pas parce que les bulles sont en français que la BD reprĂ©sente un risque dâacculturation, ce sera vraiment aller vite en besogne, ce sera alors dâun simplisme ahurissant. Lâimage comme le dit Bernard Blanque dans lâEnfant crĂ©ateur dâimage : «Câest une parleuse muette qui sâexplique sans dire un mot qui gagne le cĆur par les yeux.» La BD est un moyen dâapprentissage formidable
M.-M. B.
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